Quand j’ai entendu que Patrick Modiano a gagné le prix Nobel pour la littérature en 2014 je me suis dit qu’il fallait en profiter. Qu’il fallait enseigner ces auteurs, tous ces prix Nobel français. Il y en avait pas mal, quand même, non?
Pour ceux qui ne le savent pas, l’étude du français aux Etats-Unis perd du terrain depuis les années 70. En 1968, c’est la première langue étrangère étudiée avec 34% de tous les inscriptions en cours de langue (l’espagnol est en deuxième place avec 32%). En 2013 le français est en deuxième place, mais avec seulement 13% des inscriptions (l’espagnol est en premier avec 51%). En 2013, au lieu de 386,663 inscriptions en français, il n’y a que 198,396 (cela malgré le fait qu’en 1968 il y a 7 millions étudiants à l’université et 18 millions en 2013). On va plus à l’université, mais on étudie moins les langues en général, et encore moins le français en particulier. Quand on est prof de français, cela fait réfléchir.
On se demande souvent ce qu’on peut faire pour faire croître les inscriptions. Qu’est-ce qui peut attirer les étudiants à l’étude du français, surtout au niveau avancé, au niveau où on étudie la littérature?
Le prix Nobel est le prix le plus connu au monde. Il fait parler les gens des sujets dont ils ne parlent jamais (la littérature, la physique, la paix…). Il fait connaître aux Etats-Unis des auteurs d’autres pays. Je savais que pas mal de français avaient gagné. C’était une piste à considérer en tout cas… Quand j’ai commencé mes recherches, j’ai toute suite confirmé que oui, beaucoup de français l’avaient gagné le prix (15 en littérature). J’ai été surpris qu’autant d’Américains aient gagné–mais, je me suis dit, c’est normale–il y a 325 millions Américains contre 65 millions de Français. J’ai été surpris aussi par le nombre de juifs qui avaient gagné de prix Nobel–et il n’y a que quoi? (j’ai dû chercher) 14 millions?
Puisque Patrick Modiano est français et juif, j’ai commencé à réfléchir à la population juive en France et, de façon plus générale, à la population juive qui écrit en français. Je me suis rendu compte que je n’avais pas encore donné l’occasion à mes étudiants de lire des auteurs juifs. J’enseigne dans une établissement catholique et comme j’estime qu’on étudie les langues et lit la littérature en grande partie pour accéder à l’expérience d’autrui, pour mieux appréhender l’expérience humaine dans sa diversité, je ne suis pas satisfaite de cette situation. De plus, je m’intéresse beaucoup à la religion. Quel rôle joue la religion dans la société? Dans la culture de l’individu? Comment est-ce que ce rôle change à travers les siècles, de pays en pays, de religion en religion? Est-ce possible de repenser le rôle de la religion dans notre société empirique? Poser ces questions à partir d’une différente vision du monde, approcher ces questions à travers de nouveaux textes m’attirait beaucoup. Mais par où commencer?